Histoire derrière la photographie
Chaque image possède sa propre histoire. S’exprimant à travers l’ivresse du photographe, ce récit intimiste et succinct se veut un lien entre le lecteur et cette fabuleuse et précieuse Nature. C’est pourquoi, sporadiquement, une œuvre, sélectionnée dans la galerie, sera l’hôte d’un texte racontant les circonstances entourant la prise de vue. Ces détails souhaitent transcender la technique photographique pour atteindre cette félicité que procure ce contact privilégié avec le monde sauvage. Bonne lecture !
L’INVISIBLE BEAUTÉ
Durant la saison estivale, le vert domine puissamment le décor forestier au feuillage gorgé de chlorophylle qui à la longue embrume mon regard de photographe. Convaincue que cette tonalité camoufle une secrète magnificence, mon esprit s’interroge : serait-ce possible que la richesse de la flore se dévoile généreusement sur un cliché en noir et blanc ?
C’est alors que la nature exerce en moi un mouvement d’éveil. Tout mon être plonge dans l’âme de cette beauté cachée. J’habitue l’œil aux nuances de la végétation ; je touche les textures ; j’apprécie les motifs fascinants des folioles. Cette pratique régulière intensifie la capacité de déceler le filon, l’indice prometteur. Voilà que les camaïeux de vert, exprimés en noir et blanc, se transforment en une intrigante mosaïque foisonnante de beauté. Un effet saisissant, un résultat inespéré, une révélation !
Je vous invite à regarder attentivement la photographie de la fougère accompagnant ce texte. Éclairé par de douces lumières diffuses et réfléchies, le gris argenté côtoyant le gris anthracite accentue la formidable texture des frondes : une splendeur qui échappe à la vision en couleur.
Vous pouvez voir d’autres exemples dans la collection NOIR ET BLANC sous l’onglet BOUTIQUE de la GALERIE D’ART.

LE ROYAUME
J’ai eu le privilège de croiser le regard furtif du lynx et d’entendre son appel. Mon cœur a vibré au chant des loups. L’orignal m’a frôlée. En Abitibi, mon conjoint m’a signalé, à quelques mètres de nous, la présence d’une ourse invitant son petit à descendre de l’arbre et s’éloigner tranquillement. À l’aurore, sur un sentier dans les monts Chic-Chocs, un caribou des bois, telle une ombre, nous a suivis un moment. En Mauricie, sur le lac Wapizagonke, un couple de huarts à collier nous a confié, sur le flanc du canot, leur progéniture, le temps de pêcher le poisson. Au cœur de la région boréale, j’ai observé le tétras du Canada paradant si près que j’entendais le bruissement de sa queue s’étaler en un jeu de cartes…
Aucune de ces inoubliables rencontres n’aurait pu se dérouler sans l’existence d’un fascinant territoire peuplé de géants. Gardiens de l’eau et de l’air, ces rois : conifères et feuillus, façonnent depuis des millénaires un univers exceptionnel, indispensable et puissant qu’on nomme forêt !
Ce lieu grandiose surprend, émerveille, vivifie le profane. Cette bibliothèque à ciel ouvert transfigure l’initié et sème dans l’âme une force intérieure splendide. Libre et autonome, l’érudit de la forêt né en son sein et ayant grandi sous son égide célèbre le caractère sacré de ce monde enveloppant.
La forêt chante, enfante, abrite, nourrit, soigne…
Une communauté altruiste
Une aura de mystère plane au cœur de la forêt : les arbres communiquent silencieusement entre eux. Inspirée par cette atmosphère secrète régnant à l’orée d’une superbe forêt de pins gris, une idée me traverse l’esprit : le concept nécessite l’utilisation d’une technique photographique simple. Celle-ci a pour but d’insuffler une ambiance floue, laquelle souligne le langage énigmatique des échanges et activités multiples de coopération, qui se déroulent quotidiennement au sein de la flore. La verdure au sol crée un effet lumineux exaltant la richesse de ce monde inouï, mais incompris.

SIGNATURE HIVERNALE
DÉCEMBRE
Peu à peu, la glace progresse étouffant le murmure des rivières engourdies par le froid. Les lacs se figent ; les champs s’endorment ; les forêts se taisent. Le grand silence remplit l’air piquant de l’hiver aux nuits interminables et aux jours étincelants.
Le désert blanc, avec sa multitude de diamants éphémères sertis dans la ouate, offre peu de couleurs pour distraire l’œil, invitant ainsi l’esprit à admirer de près le paysage qui s’étire à l’infini. Je comprends alors que la splendeur de cette saison se révèle dans les détails et la finesse des sujets, tels les courbes des congères, le bleuté des ombres ; les bulles d’air sous la glace et leurs sillons en surface ; la dentelle des glaçons ; les textures des flocons. Comme c’est beau l’hiver !
JANVIER
Vingt-cinq degrés au-dessous de zéro ! La neige crisse sous mes pas ; voilà un bon présage. Les joues rougies, le foulard constellé de frimas, les lunettes polarisantes embuées, j’exulte ! Oui, grâce à la température froide et humide, les eaux libres et tumultueuses de la rivière contribuent à créer un décor féérique, presque surréel, de brume et de givre éclairé d’une divine lumière matinale. Ah ! Que c’est beau l’hiver !
MARS
Les tempêtes se succèdent, l’hiver s’accroche ! Le climat s’adoucit et rend la neige lourde et collante. Aujourd’hui, la forêt semble sortir tout droit d’un rêve ; j’en distingue à peine les troncs. La blancheur immaculée des lieux donne l’étrange impression que le temps s’est figé. Cette ambiance feutrée repose l’esprit, affine les sens et suscite l’émerveillement. Que c’est beau l’hiver !
À la longue, j’apprivoise les humeurs changeantes de cette saison particulière ; j’apprends à reconnaître ses nombreux traits de caractère et à lire sa signature dans le détail et la simplicité. Je vous le dis, cette période de l’année est magnifique et sa poésie s’offre à tous ceux qui lui portent un regard amoureux.

L’ESPOIR
Alors que les flammes rougeâtres embrasent la végétation, la montagne fumante s’enveloppe de solitude : orignaux, loups, lièvres, lynx et nombre d’animaux fuient ce lieu funeste.
Dans cette ambiance terrifiante se ficèle un ambitieux scénario. La nature déploie ses forces entrainant une cascade d’activités coordonnées à l’origine d’un prodigieux processus de régénération de la forêt ! Les molécules organiques volatiles de l’épaisse fumée transportent un message que décodent, à plusieurs kilomètres de là, des insectes pyrophiles. Après le passage du feu, ces spécialistes de la décomposition du bois mort prolifèrent dans les zones incendiées attirant à leur tour leurs prédateurs, dont le pic à dos noir.
Tandis que le sol, enrichi de cendres, promet à la flore un terreau fertile, les cônes de pins gris et d’épinettes noires libèrent, sous l’action de l’insupportable chaleur, des milliers de graines. L’atmosphère brûlante stimule aussi certains champignons, telle la morille de feu. Alors que le bouleau à papier reprend vie à partir de rejets de souche, le peuplier faux-tremble assure sa reproduction par drageonnement. Avec le temps, ces essences à croissance rapide améliorent le milieu permettant à d’autres végétaux de s’y établir. Les plantes attirent graduellement la présence de grands mammifères. L’ours se régale de bleuets et les orignaux dégustent la tendre verdure des jeunes pousses. Les maillons de l’équilibre fondamental se lient à nouveau ! L’espoir renaît ! La faune et la flore recolonisent petit à petit le brûlis.
De la désolation à l’apothéose
Deux décennies suivant la tragédie, la mosaïque de la forêt boréale s’est transformée. Dans un secteur précis, le décor culmine dans une apothéose de riches coloris automnaux ! Les troncs sveltes des espèces pionnières dressent dans le ciel voilé leur cime dorée. Au sol, les bleuetiers flamboyants parsemés de fougères jaunes et orangées en mettent plein la vue. Ces teintes aux tons chauds célèbrent le triomphe !
Devant un tel spectacle, primo je ne photographie pas : je ressens ! Je ressens la beauté de cette renaissance ; je ressens les états d’âme des couleurs, l’ambiance festive de cette longue métamorphose, la force remarquable de l’écosystème. Ce dialogue particulier avec la forêt me guide instinctivement vers le lieu le plus prolifique où l’art évanescent de la nature témoigne de l’ardeur de son zèle et nourrit ma réflexion.
Dans l’adversité, la nature enseigne l’importance de tisser des liens ainsi que de favoriser des actions coordonnées et surtout, de faire preuve de patience avant de pouvoir retrouver, lors d’une perturbation majeure, un nouvel équilibre riche et fécond.
Références consultées entre le 30 mars et le 3 avril 2020 :
Ministère des Ressources naturelles et de la Faune. Direction de l’environnement et de la protection des forêts. La récolte dans les forêts brûlées Enjeux et orientations pour un aménagement écosystémique (En ligne) janvier 2011. https://mffp.gouv.qc.ca/publications/forets/amenagement/forets-brulees-enjeux.pdf
Faucher, Jean Robert et Bouffard, Jacques. Les insectes du feu (Radio-Canada) (En ligne) 24 novembre 2002. https://ici.radio-canada.ca/actualite/semaineverte/ColorSection/fauneFlore/021124/pyrophile.shtm
Roy, Guillaume. Le mystère de la morille de feu (En ligne) 14 mai 2016 https://www.quebecscience.qc.ca/environnement/le-mystere-de-la-morille-de-feu/
Chaire industrielle CRSNG-UQAT-UQAM en aménagement forestier durable. Potentiel de régénération des forêts brûlées (En ligne) http://outilreg.uqat.ca/information.php

LE MIROIR ÉPHÉMÈRE
Lors d’un exercice de repérage dans la région lanaudoise, je note l’aspect attrayant de champs de culture dont l’inégalité du terrain forme de splendides vallons. De plus, la piste cyclable, traversant du nord au sud ces terres agricoles, ajoute un effet de profondeur remarquable. Photographier ce paysage à contre-jour s’annonce prometteur, mais irréalisable vu l’orientation du chemin. Je dois trouver un nouvel allié, autre que la lumière divine d’un lever ou d’un coucher de soleil afin de mettre singulièrement en valeur la beauté du terroir. Mais, quel est donc ce facteur favorable ? Les yeux rivés sur une vaste dépression du sol, une idée commence à germer dans ma tête.
Quelques semaines plus tard, des cumulonimbus menaçants annoncent le moment tant espéré. L’orage éclate ! Les éclairs zébrant le ciel, le vent violent et la pluie diluvienne renforcent cette fameuse hypothèse qui occupe mon esprit. Toutefois, pour en vérifier l’exactitude, je dois attendre que la tourmente se calme.
Finalement, la tempête capitule dans un grondement sourd abandonnant dans le creux de la pente, une mare qui s’étire de tout son long sur le bitume sombre. Je m’approche de la flaque, m’accroupis sur le sol et je constate avec une vive satisfaction que cet angle de vision transforme l’eau stagnante en un parfait miroir réfléchissant un fabuleux nuage. Voilà l’élément crucial qui explique l’intérêt de cette photographie !
C’est sous le thème Inspiration de la boutique du site Internet lugaphoto.com que vous retrouverez cette photographie intitulée L’éveil.

LA FORCE DU SILENCE
La brume me fascine et m’inspire ; je la cherche, la convoite, la devine. Cette poésie langoureuse de l’eau étonne par les multiples aspects qu’elle revêt : vaporeuse, dissipée, rampante ou dense. C’est ainsi qu’en de rares occasions, la nuit boréale concocte grâce à un mélange savamment dosé d’air chaud, froid et humide, un brouillard opaque engloutissant monts et vallées. Ces minuscules gouttelettes en suspension flânent dans un univers spacieux complice d’un majestueux et profond silence. Devant cette scène méditative, je ne souffle mot pour éviter de contrarier cette paix si fragile. J’écoute la vastitude exprimer une force immense qu’amplifie la tranquillité absolue des lieux. Alors que mes sens s’affinent, mon cœur lui bat au rythme de cette expérience exceptionnelle où règne une ambiance de tous les possibles, comme si la Nature s’apprêtait à livrer son grand secret, son mystère de la Vie !
Cette divine plénitude imprègne mon âme et guidera mon instinct dans chaque projet photographique subséquent.

LEGS DU PATRIARCHE
Dans cette vallée lugubre rasée par le feu, le court sentier menant à la décharge du lac ne revêt à mes yeux de photographe aucun intérêt. Ainsi, je l’ignorai et m’abstins de m’y aventurer jusqu’à ce jour où la curiosité l’emporta.
Oh ! À l’extrémité de ce chemin envahi par des herbes folles aux couleurs automnales, de nombreux chicots témoignent d’un passé sombre. Ce destin fatal révèle un paradoxe extraordinaire qui surprend l’imaginaire. À la suite de cette tragédie, les arbres agressés lèguent des vestiges d’une beauté saisissante se reflétant dans une eau dormante magnifiquement dorée. Ces remarquables et majestueuses souches au bois lisse et livide captivent mon regard par leurs élégantes et gracieuses racines étrangement enlacées. Le silence de ce lieu sacré transforme alors mon émerveillement en un état de contemplation profond à l’écoute de cette nature.
Mystérieuses racines, gardiennes des secrets du sol nourricier, racontez-moi votre vie !

INSPIRATION, OÙ ES-TU ?
Deux magnifiques plumes d’émeu paressent depuis plus d’une quinzaine d’années sur le dessus de mon piano. Malgré le magnétisme puissant qu’elles exercent sur moi, je n’en ai pris aucun cliché satisfaisant. Pourtant, mes yeux les ont admirées mille fois, mes doigts les ont délicatement tâtées et même mes narines les ont respirées. Hélas ! le secret pour réaliser une image témoignant de leur splendeur échappe à ma vision jusqu’à ce jour où, lors d’une commande photographique, ma cliente spécifie son intérêt pour une œuvre déclinant un camaïeu de blanc et de beige. Et voilà l’idée maîtresse ! Un arrière-plan de duvet neigeux sur lequel seront déposées les beautés filiformes.
Sans tarder, des esquisses jaillissent dans mon esprit, mais attention ! L’art de la nature étant ici délicieusement raffiné, la tâche demande donc une mûre réflexion, de la minutie de même qu’une extraordinaire patience. Telle une pièce de casse-tête, chaque plume servant d’assise est rigoureusement sélectionnée et manipulée à l’aide d’une petite pince. Ainsi, sous une remarquable lumière, secondée par deux réflecteurs, trente-deux spécimens forment la base du fragile montage. Mus par l’instinct, mes doigts étalent maintenant ces créations souples et graciles en prenant soin de courber en douceur le rachis mettant en vedette l’extrémité du sujet où les barbes semblent avoir été trempées dans une encre noire.
Cette expérience m’enseigne qu’il ne faut jamais abandonner puisque la naissance d’une inspiration se moque du temps.

PROMESSES EN FLEURS
Après le long sommeil hivernal, les feuillus, gorgés de sève sucrée, émergent enfin de leur torpeur. Précoces, les érables argentés, mus par une noble ambition, rougissent de leur délicate floraison. Alors que les chênes préfèrent la plus grande discrétion sur le sujet, les pommiers, eux, préparent leur somptueuse robe nuptiale. Tel un écrin de velours, les pétales groupés serrés patientent sous la forme d’un bouton, tandis que l’arbre, chimiste à ses heures, concocte un irrésistible nectar au parfum suave dans l’unique but d’attirer, le moment venu, les essentiels insectes pollinisateurs.
Fin mai, des fleurs par milliers
Envoûtée par cette brève liaison entre les arbres et les infatigables abeilles, je m’émeus devant cette idylle qui se transforme en un prodigieux labeur. Le cœur conquis par cette explosion de fleurs blanches où pétillent des dizaines de prétendants, je déambule en savourant la splendeur des pommiers bien alignés, tous plus beaux les uns que les autres. Après avoir réalisé quelques clichés, mes yeux scrutent les alentours à la recherche d’un sujet isolé aux courbures prononcées, un défi de taille dans un verger ! C’est au bas de la pente, sous une lumière magnifiquement voilée par de fins nuages, que l’élu étale sa richesse. Ses branches sont garnies de nombreuses corolles agitées par un vent léger qu’une vitesse d’obturation lente transforme en un flou artistique. Le regard émerveillé et l’âme ravie, je salue en silence ce pommier chargé de promesses en fleurs.

UNE SÉANCE DE PHOTO HORS DU COMMUN
Au cœur des grands frissons de l’hiver, mon conjoint et moi explorons, une fois l’an, un endroit magnifique façonné par le froid mordant, lequel génère une importante couche de glace à quelques mètres de la base d’une imposante chute. Ce curieux monticule, alimenté par l’haleine âpre de la cataracte, surprend le visiteur. Soumis aux aléas climatiques, nul ne peut prédire ni la hauteur ni la forme qu’il épousera.
Tandis que le jour invite les amateurs d’escalade et les raquetteurs dans l’enceinte du parc, le soir accueille la tranquillité, et à la faveur d’une illumination, la chute dévoile son âme ! Lors de notre première visite nocturne, des difficultés imprévues compliquent la séance de pose. D’abord, la bruine s’échappant du gouffre m’oblige à travailler à bonne distance du sujet et à couvrir une partie du matériel photographique pour limiter l’accumulation de givre. De plus, le rugissement de la cataracte, ce tonnerre continu, coupe toute communication entre nous. Par conséquent, mon conjoint se voit contraint de redescendre la butte à maintes reprises, car nous devons nous consulter pour déterminer l’endroit exact où il doit s’installer ainsi que l’angle et la position à adopter afin que sa silhouette se découpe sur le fond de roches et de neige. J’insiste aussi sur le délai et le moment de figer son corps dans une immobilité parfaite pour assurer la netteté de l’image, malgré une vitesse d’obturation lente. Cet exercice complexe et exigeant montre, sur l’écran de mon boîtier, le potentiel prometteur de la scène. Toutefois, nous devons peaufiner certains détails nous obligeant à patienter une année entière avant de retourner dans ce royaume glacé, munis cette fois, d’émetteurs-récepteurs. Au fil des ans, l’expérience nous incite à travailler lors d’une nuit polaire, sous un ciel dégagé et à éviter la présence du vent. Ce dernier répand la vapeur d’eau que crache en permanence la rivière, enveloppant d’une couche de givre les vêtements de mon courageux amoureux !

Entendre à nouveau le rugissement furieux de l’eau qui dégringole entre les parois enneigées et le gémissement des glaces s’entrechoquant nous inspire. La beauté majestueuse de cette signature hivernale impressionnante émerveille notre regard contemplatif et enflamme notre curiosité. Tel un trésor, notre mémoire conserve précieusement ces dialogues énergisants, ces moments de pure vérité avec les forces puissantes de la Nature. En ce lieu, le mot respect prend tout son sens.
Rien, absolument rien, ne peut enrichir autant le photographe que sa présence sur le terrain : c’est l’étape la plus électrisante, palpitante, édifiante et profitable pour celui qui sait écouter les propos de la Nature.
RIVIÈRE REBELLE
Je fréquente assidument des sites naturels proposant un potentiel intéressant en matière d’esthétique dans l’espoir qu’une lumière spectaculaire, une brume vaporeuse et peut-être un givre rendent ces lieux idylliques. En ce matin clair, je marche dans la neige craquante, le cœur fébrile, l’œil rivé vers le gouffre où la bruine glacée, provenant du souffle généreux de la chute, se dépose sur les branches des conifères, gardiens de l’eau. Parfois, le froid polaire transforme cette humidité en un riche ornement hivernal, d’une beauté évanescente remarquable. Mais aujourd’hui, les rares et fines vapeurs blanchâtres témoignent de l’air ambiant trop sec, réduisant à néant tout enchantement visuel. La déception m’envahit… Les yeux clos, j’analyse la situation. En cette période de l’année, sans cette magie givrée, il est possible que je revienne bredouille de cette séance de photos. Toutefois, j’écarte l’idée de quitter le secteur, car l’instinct me suggère de contourner la chute et de suivre la rivière en amont. Silencieuse lorsqu’elle coule dans son lit large et creux, cette vieille amie, partiellement recouverte d’une glace bleutée, cache ses états d’âme jusqu’à cet amas de roches arrondies sur lesquelles elle glisse, laissant échapper un mélodieux murmure. Ce clapotis s’accentue au gré des nombreuses et fortes dénivellations où ses flots tumultueux se rebellent. Elle ne chante plus, elle mugit maintenant ! À cet endroit, la rivière m’impressionne à un point tel qu’elle polarise mes sens : je l’admire, la respire et l’écoute rugir pour ressentir sa puissance et sa grandeur tout en contemplant son écume bouillonnante et furieuse. Dans ces eaux impétueuses miroite le reflet d’une beauté sauvage que seul l’esprit libre d’un cœur d’enfant émerveillé peut apercevoir.

LA BEAUTÉ DE LA NATURE, UNE FORCE INCONNUE
Une abondante rosée mouille les talles de graminées et de plantes colorées bordant l’étroit sentier rocailleux. Tandis que mon regard embrasse le décor luxuriant, une douce lumière fait miroiter les généreuses perles d’eau figées sur les calices des silènes, ces fleurs renflées que les enfants s’amusent à faire éclater en les écrasant sur le dessus de leur main.
Le trépied d’une main et le boîtier muni d’un objectif macro 105 mm de l’autre, je cherche des inflorescences denses et serrées, garnies d’abondantes gouttelettes d’eau. Malgré le nombre important de plants de silènes, mes critères de sélection élevés m’entrainent à parcourir en tous sens le site. Ici, certains sont fanés ; là, ils sont clairsemés ; un peu plus loin, un bouquet semble parfait, mais l’ombre garde la rosée discrète et sans éclat. Je pourrais couper des tiges et les regrouper en une spectaculaire gerbe, mais l’expérience m’a enseigné que la nature fait mieux les choses et qu’il est préférable de poursuivre mon exploration. Toutefois, si je ne déniche pas bientôt la perle rare, le soleil levant fera évaporer l’humidité de la nuit et compromettra mes plans. Enfin, j’exulte ! Me voilà accroupie, examinant d’un œil émerveillé les éclats de lumière causés par la rosée, hors foyer, reposant sur les sépales des nombreux silènes. La photographie prise, j’admire ce bijou floral qui incite mon esprit à méditer une évidente réalité : du paysage grandiose à cette fleur délicate et fragile, la nature célèbre constamment la beauté. Mais pourquoi la présence de tant de splendeur ? Pourquoi la nature s’évertue-t-elle à créer cette joliesse ? Cette magnificence possède-t-elle une force que nous ignorons ?

J’ai remarqué que, lors de mes rendez-vous avec la nature, sa beauté indicible et sauvage me procure cet essentiel et enivrant bonheur, prémisse de la joie, auteure d’une splendide énergie ! Cette fabuleuse nourriture émotionnelle s’avère indispensable à l’équilibre physiologique et psychologique de chacun d’entre nous. Pourtant, un manque flagrant de cette ressource singularise nos milieux de vie artificiels. Voilà matière à réflexion pour les spécialistes de la décoration. Quelle extraordinaire opportunité : conjuguer les talents des designers avec les forces de l’art de la nature afin de créer des décors inspirants, motivants et salvateurs pour l’âme ! Un projet novateur qu’il me tarde de partager. Pour vous en convaincre, je vous invite à visiter la galerie d’art de mon site Internet : http://lugaphoto.com/boutique/.
LA BELLE DEVENUE LA BÊTE
Nous les arrachons, nous les déracinons, nous les empoisonnons ! Voilà le triste sort réservé à cette plante généreuse qui, dès le mois de mai, se pavane vêtue de jaune sur fond vert. Pourtant, le pissenlit officinal, amant de nombreux insectes qui festoient dans son bouquet floral, en quête du précieux nectar, fascine l’observateur par son adaptation stratégique et performante aux conditions variables ou aux milieux ingrats. Cette espèce herbacée ubiquiste possède des racines charnues qui pénètrent profondément dans le sol lui assurant une solide fixation ainsi qu’un apport d’eau malgré la sécheresse. Sa couronne ornée d’abondantes fleurs jaunes, montées sur un capitule plat et large, offre un terrain d’atterrissage incitatif, idéal pour les insectes butineurs. Les graines regroupées forment cette boule blanche piquée de fruits secs aigrettés que le souffle des enfants amusés et le vent disséminent avec une redoutable efficacité1. Comestible2, le pissenlit n’a toutefois pas la faveur des Québécois qui préfèrent de loin, un parterre esthétique devant leur demeure, reléguant donc la Belle au rang de Bête à éradiquer. Cependant, l’intérêt du photographe pour cette plante mise à l’index grandit lorsque les fleurs cèdent la place aux fruits, et l’œil sensible séduit par cette sphère neigeuse, s’interroge. Dans la proximité et l’intimité de ce bouquet extravagant, la douceur exprimée par les dizaines de minuscules parachutes, au pouvoir reproducteur, se mue en une poésie printanière qui me réconcilie avec la Belle ! Le pissenlit est tout sauf banal, et la photographie en noir et blanc lui sied à merveille.

Note : Lors de la réalisation de cette image, le trépied se situait à cheval sur l’asphalte et les herbes bordant l’aire de stationnement ; un endroit dénué d’attraits pour le photographe de la nature. Alors comment ai-je pu avoir un quelconque intérêt pour cette minuscule parcelle de verdure ? Peut-être que le cœur communique plus aisément avec le sujet que seul l’œil ne le fait !
1Marie-Victorin, Frère. Flore laurentienne, 3e éd., Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 1995, p. 552 à 554
2 Bouchard, Jonathan. Les pissenlits : ces bonnes mauvaises herbes (Radio-Canada) (En ligne) 19 mai 2017. Consulté le 20 juin 2017.[http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1034807/les-pissenlits-mauvaises-herbes-recettes-quiche-cuisine-conseils]
BLEU FLAMME ET LES SECRETS DE L’ART ÉVANESCENT
En cette fin de journée, alors que sévit un froid polaire, de minuscules fleurs de glace constellent le tissu laineux de mon foulard. Ces cristaux fragiles, qu’encourage la buée de mon souffle, disparaissent peu à peu lorsque, les joues rougies, je m’engouffre dans la voiture stationnée au bout de l’interminable sentier.
Dans la chaleur de l’habitacle, le roulis du véhicule se transforme en une agréable berceuse m’invitant au sommeil. Toutefois, mon œil, cet inlassable chercheur des beautés de la nature, reste vigilant. Soudain, un paysage saisissant attire mon attention : une sublime lumière tire de longs traits orangés sur le décor féérique de la Boréalie enneigée.
En sortant de l’automobile, je constate qu’il est hors de question de chausser mes raquettes, car le temps file et le splendide soleil décline rapidement. J’enfile les courroies de mon sac photo sur mes épaules et d’une main, j’agrippe le trépied. J’avance péniblement dans cette neige mouvante. « Vite, plus vite ! » s’écrie ma petite voix intérieure incitant mon regard à se poser à nouveau sur le panorama. Malheur ! L’astre du jour, poursuivant sa course vers l’ouest, laisse l’ombre gagner du terrain et effacer progressivement cette flamme orangée si spectaculaire. Il n’y a plus une seconde à perdre ! C’est le moment ou jamais d’immortaliser cette scène remarquable.

Une conjoncture favorable et particulière à l’origine de l’art évanescent de la nature
Les beautés fugaces de la nature résultent généralement d’une conjoncture, c’est-à-dire d’un concours de circonstances réunissant des critères précis et éphémères. La photographie intitulée Bleu flamme illustre bien ce propos. Dans cette forêt boréale, c’est à la mi-janvier que l’angle parfait du soleil couchant lui permet d’éclairer magnifiquement les fruits de cette double rangée de mélèzes. Mais encore, la richesse d’une lumière orangée s’avère indispensable pour créer l’effet de flamme. De plus, pour obtenir, en arrière-plan, cet air festif de l’hiver, une importante tempête de neige doit couvrir en partie les épinettes, à défaut de quoi le fond apparaît telle une toile sombre et sans intérêt. Et ce n’est pas tout ! Au premier plan, les troncs argentés et lisses accentuent l’effet de proximité sans toutefois gêner le regard puisque, fragilisés par le feu, ils sont dépouillés de leurs aiguilles et de plusieurs branches que le temps leur a ravies.
Ah ! J’oubliais, si toutes ces conditions sont réunies, vous avez tout au plus une dizaine de minutes pour réaliser le cliché avant que ne fuie la lumière !
UN BIJOU APPELÉ « PLUME »
Pendant la belle saison, les canards barboteurs subissent une mue importante. C’est le cas du familier canard colvert dont le mâle, en plumage nuptial, arbore un cou et une tête aux nuances d’émeraude contrastant avec la sobre robe de la femelle. Tandis que cette dernière couve ses œufs, le séducteur quitte sa dulcinée à la recherche d’un endroit discret et sécuritaire où il laissera tomber un à un ses beaux atours pour recouvrer une livrée plus modeste, appelée plumage d’éclipse. Ce changement d’habit le clouera au sol durant une période d’environ trois semaines. C’est le moment d’effectuer, près de chez moi, une visite minutieuse des berges de l’étang qui accueillent, bon an mal an, un nombre intéressant de ces Casanova déchus. En ce matin pluvieux, mes yeux scrutent le sol à la recherche de rémiges, de tectrices et de duvet. Soudain, mon cœur bondit de joie ! J’ai la main heureuse : plus d’une dizaine de plumes de miroir gisent, ici et là, dans les hautes herbes, tandis que d’autres flottent à la surface de l’eau. Fébriles, mes doigts cueillent délicatement ces trésors. Ces plages brillamment colorées, appelées spéculums, ces œuvres iridescentes, ces offrandes spectaculaires m’ensorcellent.

Afin que s’établisse cette communication essentielle, nécessaire au dévoilement des forces et du magnétisme que dégage ce bijou de la nature, je contemple, dans le silence, cette sublime création. Cet ouvrage délicat, d’une légèreté aérienne, d’une finesse remarquable, s’illustre par ses courbes et ses lignes composées de barbes rigides que joignent d’invisibles crochets. Ces traits graciles, parfaitement alignés, forment un doux motif texturé où s’expriment des reflets bleutés et violets. Puis, mon regard s’attarde sur ces riches nuances de beige, s’unissant au rachis dont la courbe hypnotise l’œil jusqu’à ce blanc éblouissant que seule une savante lumière sait rehausser. Cette splendeur favorise l’émergence d’un lien entre le sujet, l’œil, l’esprit et le cœur faisant fleurir cette énergie inspirante qui finalisera la composition photographique : juxtaposer les plumes, détacher quelques barbes afin de tracer une courbe attirante et inclure, dans le cadrage de l’image, ces brins de folie blanchâtres et duveteux situés à l’extrémité du calamus.
Ces superbes plumes existent parce que de magnifiques oiseaux savent les créer.